“Le ministre Roberge conteste la politique fédérale sur les travailleurs temporaires et brandit la menace d’une réduction drastique des seuils d’immigration permanente entre 2026 et 2029.”
Dans une manœuvre politique audacieuse, le gouvernement du Québec met Ottawa au pied du mur : il exige une révision de l’approche fédérale en matière d’immigration temporaire, notamment en ce qui concerne son impact sur les marchés régionaux du travail. Le ministre de l’Immigration, Jean-François Roberge, a été clair : le Québec est prêt à sabrer ses seuils d’immigration permanente au cours des trois prochaines années, à moins qu’Ottawa ne réagisse aux préoccupations croissantes concernant les politiques fédérales qui étouffent l’économie régionale.
Dans une lettre obtenue par La Presse, M. Roberge réclame en urgence une « clause de droits acquis » pour permettre aux travailleurs étrangers déjà établis dans les régions du Québec — en dehors de Montréal et Laval — de renouveler leurs permis et de conserver leur emploi. Son argument est simple et percutant : retirer ces travailleurs aggraverait une pénurie de main-d’œuvre déjà critique, surtout dans le secteur manufacturier, pilier de nombreuses communautés rurales.
Au cœur du litige : les restrictions imposées par Ottawa à l’automne 2024. Parmi elles, la réduction de 20 % à 10 % de la proportion de postes à bas salaire pouvant être comblés par des travailleurs étrangers temporaires, un resserrement de la liste des professions admissibles et des exigences linguistiques accrues. Pour M. Roberge, ces mesures sont « excessives » et « nuisibles à l’économie régionale ».
Ce conflit peut sembler technique, mais ses conséquences sont bien concrètes. Comme le souligne le ministre, la survie de nombreuses entreprises locales est en jeu. L’enjeu est économique, humain… et profondément politique.
Québec plaide pour une approche plus nuancée. Selon M. Roberge, le problème n’est pas le Programme fédéral des travailleurs étrangers temporaires (PTET), mais plutôt les autres catégories sous contrôle fédéral direct : les demandeurs d’asile et les travailleurs du Programme de mobilité internationale (PMI). Ces derniers auraient, selon lui, un impact plus prononcé sur la langue française, les services publics et la crise du logement, particulièrement en milieu urbain.
Les chiffres parlent d’eux-mêmes. Le Québec a vu doubler le nombre d’immigrants temporaires en trois ans, atteignant 616 500 au 1er janvier 2025. Parmi eux, 416 000 relèvent de la compétence fédérale. La croissance rapide des demandes d’asile, en particulier, met à rude épreuve la capacité d’intégration linguistique et sociale de la province.
Le gouvernement Legault, dans une stratégie de pression, envisage désormais trois scénarios pour abaisser les seuils d’immigration permanente entre 2026 et 2029 : 25 000, 35 000 ou 45 000 — bien en dessous des niveaux actuels. Le message à Ottawa est clair : coopérez, ou le Québec resserre la vis.
CE QUE CELA SIGNIFIE POUR LES TRAVAILLEURS ÉTRANGERS TEMPORAIRES
Victoire à court terme pour les employeurs et les travailleurs
Pour les employeurs québécois, surtout en région, la position de M. Roberge représente une bouée de sauvetage. Les pénuries de main-d’œuvre sont telles que sans ces travailleurs, plusieurs entreprises ne pourraient simplement pas fonctionner. Maintenir en poste les travailleurs étrangers déjà présents permet d’éviter des interruptions majeures dans la production et les services.
Du côté des travailleurs, il s’agit d’un répit. Pouvoir renouveler leur permis signifie plus de stabilité, de sécurité, et une continuité de vie dans des communautés où ils sont bien souvent essentiels — tant sur le plan économique que social. Leur présence freine le déclin démographique de plusieurs régions et revitalise les milieux ruraux.
Impasse à long terme pour la résidence permanente
Mais derrière cette victoire temporaire se cache un dilemme plus profond. Les programmes de travailleurs temporaires ne visent pas l’établissement permanent. Or, beaucoup de ces travailleurs s’ancrent durablement : emploi, famille, intégration locale. Si Québec met à exécution sa menace de réduire les seuils d’immigration permanente, ces travailleurs risquent de rester coincés dans un statut précaire — indispensables, mais sans perspective d’avenir ici.
C’est un paradoxe : ceux que l’on souhaite garder à court terme pour sauver l’économie pourraient se heurter à une impasse s’ils cherchent à rester à long terme. En somme, le temporaire pourrait devenir… jetable.
Le Québec a lancé son offensive. Reste à voir comment Ottawa répondra. Le sort de milliers d’employeurs et de travailleurs étrangers dépend de cette décision.
Restez connectés avec nous pour suivre les prochains développements.